Source:
http://www.transfert.net/a8925 5/06/2003 •
"*L’addiction aux jeux vidéo et à la drogue ont le même mode de
fonctionnement"* [Jean-Claude Matysiak]
Si l’univers de jeu persiste, consultez ce spécialiste de la dépendance
La dangerosité des jeux vidéo est décidément un sujet récurrent. Après avoir
été accusés de développer des comportements violents chez les jeunes et de
favoriser une confusion entre monde virtuel et réalité, les voici désignés
comme source d’addiction, au même titre que la drogue ou l’alcool. Le
docteur Marc Valleur, médecin-chef de l’hôpital Marmottan, à Paris, qui
soigne une vingtaine de patients de 18 à 25 ans accros aux jeux vidéo, a
sorti récemment un ouvrage intitulé /Sexe, passion et jeux vidéo. Les
nouvelles formes d’addiction ?/ (Flammarion). Son co-auteur, le professeur
Jean-Claude Matysiak, chef de service de la consultation en addictologie du
centre hospitalier de Villeneuve Saint-Georges (94), fait le point sur leurs
travaux.
*Combien d’heures faut-il jouer pour être accro ?*
*Jean-Claude Matysiak :* C’est moins en termes de fréquence qu’en termes
qualitatifs. Il n’y a pas de normalité, on a tous le droit à des excès,
notamment les adolescents et les jeunes adultes qui sont les premiers
concernés par les jeux vidéo. Passer régulièrement 10 heures par jour à
jouer est bien sûr inquiétant mais on parle d’addiction quand le jeu devient
le centre de la vie au détriment d’autres investissements (affectifs,
professionnels, scolaires). Surtout si cette occupation se pratique seul.
Quand la dimension d’échange avec les autres disparaît, il faut commencer à
se poser des questions.
*Connaît-on le nombre de personnes concernées en France ?*
Il n’y a pas d’étude nationale sur la question car le phénomène est encore
trop récent. Quel que soit le type d’addiction, on considère que, dans la
population touchée, il existe 5 % à 10 % de vrais accros.
*Quels sont les troubles observés ?*
Essentiellement des troubles psychologiques. On assiste à un appauvrissement
de la vie affective, relationnelle et intellectuelle. En fonction du degré
d’isolement, on peut aussi observer des troubles physiques. Il y a chez
certains un état d’amaigrissement car ils ne prennent plus le temps de
manger. Pour d’autres, se laver devient une corvée. On a beaucoup parlé
d’épilepsie mais cela ne concerne que les gens prédisposés. Ce qui est sûr,
c’est qu’on ne devient pas accro aux jeux par hasard. C’est parce qu’il y a
un mal-être existant que l’on fuit la relation aux autres dans les jeux
vidéo.
*Quels jeux favorisent ce genre de comportement ?*
On cite souvent les jeux de simulation d’univers persistant, comme /Dark Age
of Camelot/. On les pratique beaucoup en réseau et, surtout, ils sont sans
fin. On crée un personnage qui évolue. Il y a un effet Tamagochi :
qu’arrive-t-il à mon personnage quand je ferme l’ordinateur ? En
comparaison, les jeux de combat sont beaucoup moins envahissants. D’abord,
ils ont une fin programmée et on finit par s’en lasser.
*Quelles sont les similitudes avec la consommation de drogues ?*
On retrouve dans l’addiction aux jeux vidéo le même mode de fonctionnement,
avec, notamment, les trois dimensions : la recherche de plaisir, la quête de
limites et l’isolement. Dans un jeu, on essaye d’aller le plus loin
possible, on cherche à se surpasser. Les jeux en réseau peuvent permettre
d’acquérir une renommée mondiale, de devenir une sorte de star du réseau.
Concernant l’isolement, le parallèle avec la drogue est frappant : je
commence de façon conviviale et je finis par le pratiquer tout seul.
Partager avec les autres devient sans importance. L’addiction devient la
seule source de soulagement.
*Vous parlez beaucoup du danger d’isolement mais jouer en réseau n’est-il
pas une forme de relation aux autres ?*
Pour moi, cela reste des relations virtuelles. C’est la même différence
qu’entre être accro aux sites pornos et faire l’amour. On ne rencontre
jamais l’autre. Cela prouve la difficulté à avoir de vraies relations.
*Quel traitement propose-t-on aux accros des jeux vidéo ?*
La première chose, c’est de savoir s’ils sont vraiment malades. Pour ceux
qui n’arrivent plus à s’en passer, on propose un sevrage progressif, en
diminuant peu à peu le nombre d’heures passées à jouer. Mais il faut que la
personne le souhaite, sinon il est utopique de vouloir la soigner. Dans les
cas vraiment graves, une hospitalisation peut être utile. Mais de toute
façon, il faut un suivi psychothérapique grâce auquel on cherche à faire
accéder le jeune à une autonomie. L’addiction au jeu vidéo signale souvent
une difficulté d’accession à l’autonomie vis-à-vis de sa famille. On cherche
ainsi à montrer sa différence ou son indépendance mais sans vraiment partir.
Il s’agit en fait d’un déplacement d’une dépendance à une autre.
Heureusement, chez les adolescents, les choses évoluent assez rapidement,
sauf dans le cas de pathologies graves.
*On met longtemps à décrocher ?*
On peut dire que cela prend quelques mois, voire une année. Mais il existe
des risques de rechute si on ne traite pas le problème de fond. Il y a aussi
le danger de passer à une autre forme de dépendance comme les drogues
illégales ou l’alcool.
Thierry Dupont |