Dois-je lui acheter une tablette à Noël ?

Ed: 05/12/2015

Source: dimanche Oust-France du 29 novembre 2015

 

Vie quotidienne. Interactive et pédagogique, la tablette séduit les parents. La mettre entre les mains des plus petits n'est pas sans conséquences.

Témoignage

Delphine, 36 ans, mère d'une fillette de 5 ans :

« Ma fille réclame une tablette pour Noël. J'ai vu qu'il existait plein d'applications pédagogiques pour commencer l'apprentissage de la lecture, écouter des histoires ou regarder des dessins animés lors des trajets en voiture. Mais j'ai peur qu'elle passe trop de temps dessus.

Certains de mes amis ont acheté une tablette à leurs fils et la dernière fois qu'ils sont venus à la maison, les enfants n'ont pas décollé du canapé. Ils n'ont même pas joué ensemble : ils étaient tous scotchés devant les écrans.

Les écrans n'apprennent rien, ce sont des amusements »

Entretien

Emmanuelle Deschamps, orthophoniste.

Que constatez-vous dans vos consultations ?

En faisant parler les enfants de leur quotidien, je me suis aperçue que les écrans (tablettes, ordinateurs, jeux vidéo...) prenaient beaucoup de place, à tout âge. Les parents viennent consulter, souvent sur les conseils des enseignants, car leurs enfants souffrent de retards de langage, de difficultés psychomotrices... À ce moment-là, l'usage de la tablette n'apparaît pas dans la demande.

Pouvez-vous donner un exemple ?

Je me souviens d'un enfant de 3 ans qui ne parlait pas à l'école. Les parents ne comprenaient pas, car il parlait à la maison. Le père était très fier de son enfant qui était capable d'allumer l'ordinateur tout seul, de surfer sur Internet pendant de longs moments. Quand l'enfant était en séance, au départ, il était mutique et enfermé dans des activités où l'autre n'avait pas sa place. Puis, au travers de diverses activités, j'ai provoqué chez lui des manques pour favoriser des demandes verbales. Il m'a parlé et a exprimé ses souhaits.

Qu'avez-vous dit à ses parents ?

Je leur ai expliqué le retentissement que les écrans peuvent avoir sur un enfant : isolement, difficultés de sociabilisation, retards de langage. Ils ont alors diminué le temps d'exposition. Cela n'a pas tout réglé, mais l'enfant s'est remis à parler.

Selon vous, la tablette ne favorise en rien le développement intellectuel des enfants...

Ça n'apprend rien ! Elles n'ont aucun intérêt. Même avec des programmes dits éducatifs. Elles n'aident pas l'enfant à progresser. Pire : l'enfant qui en utilise, progresse plus lentement.

Pourquoi ?

Le langage se développe parce que l'enfant est sollicité et impliqué dans des échanges avec d'autres humains. En exposant l'enfant à la tablette, cela diminue le temps passé à échanger avec ses parents, et donc freine le développement du langage. Au mieux, les tablettes sont des divertissements. Et à ne pas mettre dans les mains d'un enfant avant l'âge de 3 ans. Plus on retarde l'exposition aux écrans, plus on limite les risques. Et plus on donne l'occasion de faire autre chose.

En quoi la tablette est-elle un obstacle à la découverte du monde ?

L'enfant, qui manipule des objets réels, découvre que, selon les formes, ils ne réagissent pas de la même manière. Quand il fait un puzzle sur un écran, il ne touche pas les pièces. Il n'a pas de contact physique, il ne les porte pas à la bouche... Aujourd'hui,

on voit des enfants de 10 ans qui ne savent pas colorier sans déborder ! Sur les tablettes, les logiciels corrigent systématiquement. Les enfants ne tâtonnent plus, ne s'autocorrigent pas, n'émettent pas de jugement sur leurs actions. Par ailleurs, les tablettes agissent comme des simulateurs de présence. Conséquence : les enfants n'arrivent plus à jouer seuls. Plus tard, ces enfants ont une faible capacité à se concentrer sur des tâches ardues. Ils sont dans l'immédiateté et vivent mal les frustrations.

Vous évoquez des troubles de la socialisation...

Devant les écrans, l'enfant n'est plus en contact avec les autres enfants. Il n'apprend pas à réguler ses émotions.

Que conseillez-vous aux parents ? Aux enfants ?

J'ai reçu un adolescent qui passait jusqu'à cinq heures par jour devant des écrans. Sa mère lui apportait ses repas. Il était fatigué. Il n'avait pas de copains. J'ai proposé à l'enfant d'arrêter, au moins le matin. Il a essayé. Il s'est senti moins fatigué. Il a repris des repas avec sa mère. Il ne s'agit pas seulement d'arrêter les écrans. On arrête et on remplace par autre chose.

Recueilli par Philippe SIMON.

Emmanuelle Deschamps est orthophoniste au centre hospitalier Le Vinatier, à Bron (Rhône). Elle cosigne la tribune Les tablettes à éloigner des enfants.